lundi 1 octobre 2007

Au Pays des Touaregs, une para- conjecture romanesque rationnelle
Au Pays des Touaregs, de Léo Dex
Illustrations de E. D. Gros, Librairie Ch. Delagrave, Sans Date

Au Pays des Touaregs de Léo Dex est en quelque sorte un roman de science-fiction avorté. Qu'on en juge...
Par un bel après-midi d'été, un aérolithe tombe dans le parc de Marc Loève, sous-directeur de l'observatoire de Paris et père de la belle Yvonne.
Dans cet aérolithe, le savant découvre un disque de platine sur lequel ont été gravées en rouge:
- La démonstration du théorème dit "du carré de l'hypothénuse" (vulgairement appelée "pont aux âne"),
- Un alphabet inconnu de dix huit lettres,
- Cinq mots écrits dans le susdit alphabet.
Marc Loève en arrive à la conclusion que l'aérolithe a été intentionnellement envoyé sur Terre par les martiens et fait cette proposition à l'Académie des Sciences: "A l'ouest de Gabès s'étend une vaste contrée où il a été question de créer une mer intérieure, la dépression des chotts tunisiens. Là se succèdent d'immenses étendues plates. Sur ces plaines et sur ces chotts, lacs salés, partiellement desséchés, je compte établir, soit au moyen d'une subvention de l'Etat, soit au moyen de fonds que, j'en suis certain, des amis généreux mettront à ma disposition, à mes frais si toute subvention me fait défaut, je compte, dis-je, établir d'immenses tracés lumineux, de dimension assez grande pour pouvoir, à ce que j'imagine, être aperçus de la planète Mars, malgré les quinze millions de lieues qui nous en séparent.
"Avec le téléscope, don de l'Académie, j'observerai en même temps si Mars répond à mes manifestations par des manifestations semblables. Cela, je m'empresse de l'ajouter, n'empêchera d'ailleurs pas notre téléscope, mes chers collègues, de servir aux observations en vue desquelles seules il aura été installé."

L'idée du professeurs Loève n'est pas neuve. Vers 1840 déjà, Littrew, directeur de l'observatoire de Vienne, avait proposé une méthode semblable pour communiquer avec l'hypothétique extra-terrestre, en utilisant au Sahara des fossés emplis de feu.
Loève, lui, met en place 17 pylones avec sur leurs parties supérieures des lampes au magnésium dirigées de façon à tracer le théorème du carré de l'hypothénuse. C'est à dire trois carrés dont la longueur des côtés varient de trente à quarante-six kilomètres, plus trois transversales de dimension double, soit en tout cent soixante lieues de lignes.
En Afrique du Nord, nous retrouvons le capitaine d'Ex (que, nous dit une note en bas de page, les lecteurs de Léo Dex ont déjà rencontré dans deux romans successifs qui se font suite, sous le titre de série: Voyage aérien au long cours, et sous les titres particulier de: Vers Le Tchad et Du Tchad en Dahomey en ballon) et le héros du roman, René Goermain, sous-lieutenant aux Spahis tunisiens.
Goermain et les membres de l'expédition scientifique sympathisent rapidement et on installe les signaux pour la planète Mars. Non sans mal, les trouds (touaregs corsaires) et le simoun s'en mêlant. Marc Leove a juste le temps entre un sabotage des trouds et une chasse à l'autruche de développer une théorie sur les canaux de Mars.
"Autrefois, alors que la planète possédait encore des montagnes, des collines et des vallées, ces eaux formaient des ruisseaux, des lacs ou des marais temporaires. Sur les bords de ces eaux momentanées, la végétation se développait, fleurissait et mûrissait ses graines. Puis, la terre devenant sèche, les plantes périssaient, et leurs graines, tombant sur un sol d'une sécheresse absolue, qu'aucune pluie ne devait jamais vivifier, attendaient le printemps suivant pour donner naissance à une nouvelle flore. Pendant que ceci se passait sous une latitude, d'autres névés fondaient sous les latitudes plus élevées, une flore vigoureuse s'y épanouissait à son tour, et ainsi un des hémisphères se couronnait de bandes successives de végétation toujours de plus en plus voisines du pôle, au fur et à mesure que l'été avançait. Enfin, l'automne arrivait, et avec lui les froids qui, à défaut de la sécheresse, tuaient les dernières plantes.
- Dans cet hémisphère? Mais, si j'ai bien compris, à cet automne d'une moitié de la planète devait correspondre le printemps de l'autre moitié; or, ce second hémisphère, pourvu d'eau à son tour par la fonte successive de ses neiges polaires, se couvrait alors de bandes analogues de végétation se succédant elles aussi de l'équateur au pôle dans le voisinage des glaces.
- C'est cela. Mais, dites-moi, si, à cette époque, il existait des animaux sur la planète en question, quelle devrait être, selon vous, leur manière de vivre?
- Je ne sais pas trop...
- C'est cependant fort simple à discerner. Pour subsister, ils étaient contraints, n'est-il pas vrai? de suivre la végétation. Aussi leur existence se passait-elle en perpétuelle migration, à la poursuite de cette eau si rare. Migrations d'ailleurs sans grandes fatigues, vu les faibles dimensions de la planète, vu aussi la longueur de ses années, doubles des nôtres. Durant l'hiver, la faune battait en retraite vers l'équateur, devant les névés en formation; durant l'été, elle remontait vers le pôle en se maintenant, pour pouvoir boire et manger, dans la région où la verdure se développait momentanément, parce que les neiges en fondant y avaient laissé un peu d'eau. La planète, en vieillissant, devint une immense plaine, la fusion annuelle des névés n'y produisit plus ni ruisseaux ni lacs, mais seulement des marais temporaires, et la végération en souffrit.
- Du moins vous le supposez.
- Cela n'est-il pas de toute probabilité? Quoi qu'il en soit, l'homme, éclos depuis fort longtemps, d'une civilisation très avancée, et par cela même en possession de moyens mécaniques que nous ne soupçonnons pas, se dit: "Il est vraiment désagréable d'avoir chaque année à suivre les mouvements des névés, à vivre sur le bord des marais qu'ils forment, seuls points de la planète où la végétation puisse prospérer; je vais creuser des canaux qui conduiront les eaux polaires partout; ceci fait, je n'aurai plus besoin de me déplacer, l'eau viendra à moi et la sécheresse se trouvant supprimée, les plantes prospèreront là où j'aurai dressé ma demeure. L'homme se mit à l'oeuvre, et il put faire grand, car sur cette planète plus petite que la Terre, tout était trois fois moins lourd; car, sur cette planète sans montagnes ni collines, le creusement des canaux devenait des plus simples.
"Chaque génération perfectionnant ce qu'avait fait la précédente, l'immense et ininterrompu continent fut bientôt couvert d'un réseau de gigantesques aqueducs, gigantesques par leur longueur, qui, allant prendre l'eau dans les marais du pôle, la conduisaient jusqu'à l'équateur. Sur ces canaux, chacun vint brancher des rigoles destinées à vivifier ses champs. Alors, sur une bande d'une certaine largeur, à droit et à gauche de chaque canal, une végétation luxuriante se developpa chaque été, tandis qu'au delà, dans des espaces impossibles à irriguer par suite de leur éloignement des canaux, le sol, resté veuf de toute flore, conservait son aspect désert, sa couleur rougeâtre. Enfin, là où les canaux se croisaient, l'irrigation devenait plus facile encore; la végétation s'étendit plus loin, couvrant tout à l'intérieur d'une sorte de vaste circonférence autour de ce confluant."
Le tableau que dresse Léo Dex de la vie sur Mars et du pourquoi des canaux et des "oasis" est une reprise des théories de l'astronome P. Lowell qui commença d'étudier Mars en 1894, de son observatoire de Flagstaff, Arizona. L'auteur ne fait donc preuve d'aucune imagination particulière, mais se contente de reprendre une théorie à la mode. Théorie d'ailleurs surtout propagée par la grande presse, car la majorité des astronomes sérieux ont toujours été très sceptiques quant aux spéculations de Lowell. Il faut dire que, par exemple, ses dessins de la planète Mars ne correspondaient pas aux photographies que l'on avait fait de la planète rouge. Ce que fit remarquer l'abbé Th. Moreux dans la Revue générale des sciences, dès 1906.
Pour clore le roman, les trouds attaquent nos héros, qui seront sauvés in extremis par l'intrépide capitaine d'Ex. Marc Loève, blessé pendant l'attaque, meurt en bénissant sa fille et le beau sous-lieutenant Goermain, désormais fiancés.
A la toute fin du roman, René Goermain reçoit une lettre anonyme affirmant que l'aérolithe a été projeté d'un ballon dirigeable dans le parc du sous-directeur de l'observatoire de Paris, par un farceur, et conseille au lieutenant de ne pas épouser la fille d'un illuminé. Vérité ou mensonge d'un jaloux? Le lecteur en pense ce qu'il veut; et l'auteur de conclure son roman sur ces phrases navrantes: "Vingt minutes plus tard, quand René Goermain déposa sur le front de sa fiancée un affectueux baiser, il ne songea nullement à se demander si, oui ou non, le père de la jeune fille avait été victime d'une mystification. Pourquoi s'en serait-il inquiété? Apprendre si ce globe incandescent, tombé à Valvain, était ou n'était pas un messager de Mars, importait peu à son bonheur, il est en tout cas fort excusable de n'avoir point cherché plus activement à le savoir. Il ne le sait point encore.
"Ni lui ni personne ne le saura peut-être jamais.
"Cette ignorance, cette perspective d'ignorance éternelle, n'empêche d'ailleurs point René de s'estimer le mieux partagé des maris."
Se présentant comme un de ces lourds livres d'étrennes à la mode entre les deux siècles, cartonnage avec motifs géométriques "façon orientale", nombreuses illustrations, Au Pays des Touaregs n'est malheureusement pas daté, mais ce bel ouvrage est sans doute paru avant 1914.
Nous ignorons tout de Léo Dex et, par là même, pourquoi son courageux capitaine porte le même nom que lui.
Au Pays des touaregs est par ailleurs un piètre roman et si nous vous l'avons présenté, c'est pour son intérêt thématique.
Dex, auteur de Le Record du tour de la Terre en 29 jours, une heure et dix minutes, fait partie apparemment de ces nombreux écrivains que le succès de Jules Verne empêchait de dormir. Il n'est pas, il faut le dire, le pire des fabricants de roman d'aventure scientifique pour la jeunesse. Au Pays des touaregs est certes une suite de poncifs où ne manquent ni l'apologie des vertus bourgeoises ni la propagande coloniale, mais reste à peu près lisible, car Dex contrairement à la plupart de ses collègues, évitait de trop tirer à la ligne.
Manuel Hirtz
Ecrire sur le sable :support éphémère pour écriture éphémère par Mohamed Aghali-Zakara
Le sable constitue chez les Touaregs le support privilégié du jeu : c'est le support naturel que l'on trouve partout et qui sert à l'acquisition des caractères tifinagh. On trace les signes puis on efface, on écrit, on efface… ainsi de suite. On joue avec les signes jusqu'à ce qu'on parvienne à la maîtrise de tous les caractères. On écrit son nom, on efface, on écrit le nom de ses proches, on efface. On jette, on pointe les doigts sur le sable pour y laisser tous les signes à points. On recommence avec les signes à barre, puis à cercle. On s'amuse à écrire de bas en haut, de haut en bas, de gauche à droite, de droite à gauche, en boustrophédon et quelquefois en spirale.
Le sable est aussi le support naturellement adapté à l’apprentissage de l’écriture : il est comme une "ardoise naturelle" toujours disponible et qu'on n'a pas besoin de transporter à chaque déplacement. Ce qui est représenté ou matérialisé par l'écrit disparaît aussitôt qu'on l'a fait., mais il doit rester dans l'esprit de celui qui a écrit, l'objectif étant la reconnaissance et l'appropriation des signes, comme autant de tests de l'acquisition des caractères, que l'on doit maîtriser afin d'être capable de les utiliser en toutes circonstances. Tracer des signes sur le sable, à même le sol est un jeu d'enfant. Alors on recommence avec des noms nouveaux, des expressions ludiques toujours plus amusantes que les participants au jeu doivent déchiffrer.
Alors, il peut leur faire dire ce qu'il ne veut ou ne peut prononcer selon le lieu, les circonstances et l'environnement humain. Les raisons relèvent le plus souvent de la pudeur, de la discrétion voire de la connivence d'une profond intimité. Il peut s'agir en effet, d'un support privilégié pour communiquer en toute complicité dans un groupe, notamment lors des veillées ou des soirées galantes. Séances, au cours desquelles les jeunes gens, garçons et filles, écoutent le violon monocorde, anzad, ou rivalisent en joutes oratoires. On peut donc, dans ces assemblées où tous les participants sont généralement assis à même le sol, utiliser ce support naturel pour communiquer des messages, sans bruit, en douceur, par le sable et le signe. C'est le signe posé sur le sol qui devient ce message furtif, cet écrit fugace, éphémère qui s'efface, passe comme la parole emportée par le vent et le sable. Ce type de message complice peut être également transmis au moyen d'un support humain mobile, la paume de la main sur laquelle le doigt inscrit un ou des signes sans laisser de trace.
Ecrire sur le sable et effacer participe au renforcement de la faculté et de la capacité d'une mémorisation fondée sur les principes d'une visualisation répétitive des caractères. En effet, ces caractères qu'on trace sur le sable et que l'on efface aussitôt, représentent des noms intimes, des proches, des expressions exclusivement liées aux centres d'intérêt de celui ou de ceux qui les reproduisent. Cette attrayante méthode globale permet de retrouver les divers caractères sous toutes leurs formes. De même on s'amuse à écrire sur le sable la formule qui contient presque tous les caractères de l'alphabet touareg.
Traduit du tifinagh par:
C'est moi Fadimata fille de Awadis, sa hanche, on ne la touche pas, sa dot (douaire) est de seize chevaux.
Après avoir mémorisé tous les signes contenus dans cette expression mnémotechnique, on trace sur le sable les signes manquants, on les efface. Puis on recommence et on efface à nouveau… Lorsqu'ils sont acquis, alors on joue à refaire les signes à points d'un jeté de doigts, sans lever la main, c'est à dire que les doigts doivent laisser des empreintes sur le sable comme celles laissées par les pattes d'un animal qui marche. Le jeu peut durer longtemps. Certains jeunes arrivent très aisément à les faire avec une grande dextérité. Le sable est un support parfait pour réaliser des prouesses en peu de temps.
Outre l'emploi à but cognitif de ce support, il convient de souligner qu'on y recourt également pour y laisser des messages temporaires sur le chemin qu'emprunte un individu auquel on adresse souvent une injure, un avertissement, des menaces ou une expression provocatrice pouvant entraîner des querelles. Hormis ce cas particulier, précaire ou fugitif ce type de message éphémère, généralement intime ou ludique est toujours à adresse individuelle.
Au cours de ces séances ludiques on pratique aussi d’autres techniques : elles utilisent le sable comme un support instantané permettant une écriture spontanée qui n’a pas besoin d’autres outils que les doigts, autorisant une vitesse de tracé qui constitue l’élément dominant du jeu, inscription immédiate d’une vivacité intellectuelle aiguisée par la devinette. Un enfant lance une expression suggérant la forme du signe à tracer sur le sable. Ainsi peut-on entendre :
- awas n ezgar, s"urine de bœuf" : on doit comprendre et représenter un signe dont la forme est celle que laisse sur le sable l'urine que projette un bœuf avec sa queue, en marchant ; ce signe en zizag est le signe " " /y/;
- essin elkeliban ennimakfanen aruru," deux petits tabourets touaregs se tournant le dos ", la forme obtenue est celle du signe " " /f/
- ederiz en tamarwalt, "l'empreinte du lièvre" le signe " " /k/.
Il existe un certain nombre de signes pouvant prolonger agréablement le jeu.
Gestuelle et postures accompagnant l'écriture sur le sable
Assis à même le sol ou appuyé sur le coude, le scribe utilise l'extrémité de ses doigts comme seul instrument sans autre intermédiaire avec le sol. La gestuelle est en rapport avec la posture du scribe au moment où il commence à écrire. Il trace les signes en occupant l'espace le plus proche de lui, puis sa main s'éloigne jusqu'à ce qu'il soit à bout de bras. Dans cette position extrême, le corps est basculé en avant pour accompagner la main le plus loin possible. Puis il revient et recommence une autre ligne d'écriture selon la même technique graphique. Il continue ainsi et couvre la surface qui l'entoure de colonnes de signes. Le texte doit se lire dans le sens voulu par le scribe. En effet, ce dernier a la liberté d'écrire dans le sens qui lui convient. L'incipit et les signes ouverts dans le sens de l'écriture précisent le sens de la lecture. L'une des positions la plus prisée est celle où l'on est allongé et accoudé sur un bras, aseghmer, mais la position en tailleur est fréquente aussi. Ces positions sont fonction de la nature de l'écrit, c'est à dire de la longueur du message, certaines ne permettant pas d'écrire des énoncés trop longs. Le principe de base repose sur la posture dans laquelle on est le plus à l'aise pour exécuter l'écriture et le type de message que l'on veut écrire. On trace alors les signes en allant vers l'espace libre.
En bref, le sable demeure incontestablement le support le mieux adapté à la pratique ludique dans le processus d'acquisition attrayante des caractères de l'écriture touarègue.
Support abstrait pour écriture virtuelle En marge des supports matériels se situe un champ abstrait. On recourt également à des supports totalement abstraits pour faire passer des messages à destination individuelle ou collective. Cette pratique relève le plus souvent du jeu. Elle consiste à écrire des mots en l'air, c'est-à-dire dans le vide absolu. Les jeunes gens, participant à la séance, doivent les décrypter et expliciter. On y teste ainsi la rapidité de lecture, de compréhension et de restitution précise du sens caché. Il s'agit de lire les signes, de reconnaître l'énoncé, de le formuler et d'en expliquer le contenu… Cette activité ludique est réservée aux véritables initiés.
Piste pédagogique : Dans le film Fahrenheit 451 le seul moyen d’éviter la disparition complète des livres dans le feu des bûchers, c’est d’en apprendre un par cœur et de le mémoriser sur ces "tablettes de cire de la mémoire" si chères à Cicéron. Un support éphémère peut-il être un bon support ?

AKATAB n' TIFINAGH

L'aphabet Tifinagh

Le tamajak, tamasheq, l'amazight, selon les lieux, est la langue des Touaregs, les Kel -Tamajak. Il 
s'écrit en caractères appelés tifinagh.