jeudi 5 juillet 2012

Al Qaeda, des bouddhas de Bamiyan aux mausolées de Tombouctou | Rue89

Al Qaeda, des bouddhas de Bamiyan aux mausolées de Tombouctou | Rue89

Al Qaeda, des bouddhas de Bamiyan aux mausolées de Tombouctou

Jean-Pierre Filiu | Universitaire


Le centre islamique de Tombouctou, en 1997 (EVAN SCHNEIDER/UN PHOTO/AFP)
Ces derniers jours, des militants jihadistes, rattachés entre autres à Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), ont méthodiquement détruit une dizaine
des quelque 330 mausolées de la ville sainte de Tombouctou, dans le nord du Mali. Ce sacrilège sans précédent a provoqué la terreur de la population locale, d’autant plus que ces marabouts sont intimement liés à différents rites de passage, au fil des siècles d’une longue histoire.
Au-delà de cette légitime et profonde émotion, il faut s’employer à mieux
comprendre la portée de ce sacrilège, car Al Qaeda et ses groupes dérivés visent toujours à répandre stupeur et sidération, à suspendre la pensée et le
raisonnement, afin de poursuivre leurs objectifs stratégiques.

Al Qaeda est en guerre contre l’islam

Une fois de plus, Al Qaeda démontre que, sous couvert de discours guerriers contre les « infidèles », c’est bel et bien contre les musulmans en chair et en os, contre l’islam pratiqué et vécu, au Mali et ailleurs, qu’elle est en guerre. Cette guerre jihadiste contre l’islam vise à faire table rase de siècles d’un passé glorieux pour imposer, sur cette douloureuse béance, un nouveau credo
aux accents totalitaires.
Au début de ce printemps 2012, une coalition instable d’indépendantistes touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et d’islamistes d’Ansar Dine (« Partisans de la religion ») ont chassé l’armée
gouvernementale hors du nord du Mali. Le chef d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali,
ancien commandant de la rébellion touarègue, avait été nommé par le président Amadou Toumani Touré (ATT) consul à Djedda, avant d’être rappelé par le même Président pour servir d’intermédiaire dans les négociations sur les otages occidentaux d’Aqmi.
C’est sans doute au cours de ces transactions qu’Iyad Ag Ghali a noué les relations étroites qui lui ont permis de compter sur l’appui d’Aqmi et d’une de ses dissidences, le Mujao (Mouvement pour l’unité et le jihad en Afrique de l’Ouest). « ATT », renversé le 22 mars 2012 par une junte militaire, s’est en tout cas bien gardé de s’exprimer à ce sujet.

Al Qaeda manipule Ansar Dine

C’est sur fond de ces rapports complexes entre les acteurs maliens, représentant le pouvoir central, le nationalisme touareg ou un islamisme agressif qu’Aqmi et les groupes jihadistes poussent à la constitution d’un sanctuaire dans la région.
Pour cela, rien de plus efficace et de frappant qu’une provocation sacrilège comme celle de Tombouctou, car elle ne peut qu’isoler Ansar Dine et mettre Iyad Ag Ghali aux mains des plus extrémistes de son propre camp.
Déjà, en février 2001, Oussama Ben Laden avait convaincu le mollah Omar d’imposer aux talibans divisés la destruction des bouddhas géants de Bamiyan. Il avait ainsi parachevé la mainmise de la secte Al Qaeda sur l’émirat taliban, boycotté par les nations, préparant sa transformation en « Jihadistan » avec les attentats du 11 Septembre.
Deux différences majeures apparaissent d’emblée avec le saccage de Tombouctou :
  • les bouddhas de Bamyan, même s’ils étaient respectés par la population chiite locale, n’avaient, par définition, pas la même relation intime avec l’islam traditionnel que les mausolées de la ville malienne aux « 333 saints » ;
  • Aqmi n’a pas prêté allégeance au successeur de Ben Laden à la tête d’Al Qaeda, Ayman Zawahiri, et poursuit donc, sous une rhétorique « globale », des objectifs locaux, voire régionaux.

Le risque d’une intervention étrangère

Il est en tout cas fort probable que la profanation systématique de Tombouctou vise à la fois à ancrer un régime totalitaire au nord du Mali, tout en suscitant une internationalisation de cette question. Rien ne ferait plus le jeu des jihadistes qu’une intervention étrangère qui, au mieux, aggraverait le chaos sur place et, au pire, permettrait à Aqmi et à ses alliés de se présenter comme les défenseurs d’une terre d’islam agressée par les « Croisés ».
Le sacrilège de Tombouctou ne laisse donc en réaction l’alternative qu’entre de mauvaises options, allant de la passivité impuissante à l’ingérence armée. Ce n’est pas le moindre succès des jihadistes d’avoir enfermé ainsi en un tel piège le Mali et ses amis dans le monde.

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