mardi 3 juillet 2012

La menace plane sur les manuscrits de Tombouctou

La menace plane sur les manuscrits de Tombouctou

Mali : la menace plane sur les manuscrits de Tombouctou

Le Monde.fr avec AFP | • Mis à jour le
Abonnez-vous
15 € / mois
Réagir Classer Imprimer Envoyer
Partagergoogle +linkedin
Des manuscrits dans une bibliothèque de Tombouctou, le 1er juillet 2012.
Des manuscrits dans une bibliothèque de Tombouctou, le 1er juillet 2012. | AFP/EVAN SCHNEIDER


Alors que les islamistes d'Ançar Eddine ont détruit sept des seize mausolées de la ville, la communauté internationale s'inquiète pour les manuscrits anciens que recèle Tombouctou. Dès l'arrivée des islamistes, en avril, l'Unesco a tiré la sonnette d'alarme et appelé à une action des pays frontaliers pour empêcher un trafic. Le point sur les enjeux et les risques autour de ces trésors documentaires :

Fondée entre le XIe et le XIIe siècle par des tribus touarègues, Tombouctou devient rapidement un grand centre intellectuel et une cité marchande prospère pour les caravanes. Au XVe siècle, une université et plus de 180 écoles coraniques se construisent, accueillant jusqu'à 25 000 étudiants. Les savants affluent, des copistes sont engagés à plein temps pour prendre en note leurs enseignements.

Des centaines de scribes, payés par le roi ou les aristocrates, copient des milliers d'ouvrages de théologie, de littérature, de science, de géographie, d'histoire ou de droit apportés par les commerçants nomades. Sur place sont également élaborés des recueils de poésie et de musique, parfois illustrés de délicates enluminures d'or.
Comme l'explique un article du Monde Magazine en juillet 2010, les textes rédigés en arabe ou en peul étaient recopiés sur des omoplates de chameaux, des peaux de moutons, de l'écorce et parfois du papier ramené d'Italie. Aujourd'hui, on appelle "manuscrits de Tombouctou" l'ensemble des documents datant des XIIe et XIIIe siècles, mais également les copies plus récentes des XVIIIe ou XIXe siècles.
  • A combien évalue-t-on leur nombre ?
En 2004, Le Monde diplomatique évaluait à de plus de 15 000 le nombre de documents déjà exhumés et répertoriés sous l'égide de l'Unesco, et à 80 000 le nombre de manuscrits qui dormiraient encore dans des malles ou au fond des greniers de la ville. Dans un article du Figaro Magazine d'août 2008, le journaliste Jean-Marie Hosatte estimait lui que de 180 000 à 200 000 livres seraient cachés à Tombouctou et dans les villages alentour.
  • Où sont-ils stockés ?
Possession des grandes familles de la ville, la grande majorité des manuscrits sont conservés comme des trésors dans le secret des maisons et des bibliothèques privées, sous la surveillance des anciens. Avant la chute de Tombouctou aux mains des groupes armés, environ 30 000 de ces manuscrits étaient conservés à l'Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba (Ihediab), fondé en 1973 par le gouvernement malien.
  • Pourquoi sont-ils menacés de destruction ?
Certes, ces textes parlent d'islam, mais aussi d'astronomie, de musique, de botanique, de généalogie, d'anatomie... autant de domaines généralement méprisés, voire considérés comme "impies" par Al-Qaida et ses affidés djihadistes. Ensuite, les rebelles pourraient s'intéresser à la valeur marchande des manuscrits, qui peut atteindre plusieurs milliers d'euros. "Il se pourrait bien que, dans quelques semaines, on retrouve des manuscrits de Tombouctou dans les salles de vente du monde entier", prévient Marc Geoffroy, ingénieur de recherche à l'Institut de recherche et d'histoire des textes (ITEM) dans les colonnes de l'hebdomadaire La Vie.
  • Quelle est la situation sur place ?
En avril, les bureaux de l'Ihediab ont été saccagés plusieurs fois par des hommes en armes, mais les manuscrits n'ont pas été affectés. Par mesure de sécurité, ils ont été transférés vers un lieu "plus sécurisé". Dans une déclaration commune diffusée le 18 juin, les bibliothèques de Tombouctou ont affirmé qu'aucun détenteur de manuscrit n'a été menacé, mais soulignent que la présence les groupes armés les "met en danger".
  • Qu'est-ce qui peut sauver ces documents ?
D'après Jeune Afrique, des conservateurs et des collectionneurs privés se sont organisés pour dissimuler les documents les plus importants. "Aujourd'hui, ce sont quelque 8 000 manuscrits qui auraient été transférés en lieux sûrs", précise l'hebdomadaire. Les familles non plus n'ont pas attendu l'appel de l'agence onusienne pour prendre des dispositions. Et pour cause. "On dit que ces bibliothèques portent la baraka et que leur déballage attirerait les malheurs", expliquait dans un article du Monde des Religions de 2007 El-Boukhari Ben Essayouti, un spécialiste de la conservation des manuscrits.
L'autre explication avancée pour expliquer la bonne protection des documents, c'est la crainte de voir des secrets de famille éventés. Outre les ouvrages savants, toutes ces caisses contiennent des correspondances, des listes comptables, des relevés administratifs, parfois des journaux intimes, car durant l'âge d'or de Tombouctou, presque tous ses habitants étaient alphabétisés. "J'ai eu accès à des manuscrits prouvant que de grandes familles de Tombouctou sont d'origine juive ; et elles ne veulent pas que cela se sache. J'ai également eu entre les mains le journal intime d'une femme qui, au XVIIIe siècle, avait été mariée à 15 ans à un vieillard de 75 ans, impuissant. Vous comprenez que, dans une société traditionnelle comme la nôtre, ses descendants, des bâtards, refusent catégoriquement que quiconque accède à leurs caisses", expliquait Ben Essayouti
Enfin, deux facteurs encourageants sont à prendre en compte. D'abord, les islamistes répugnent habituellement à pénétrer dans l'intimité des maisons, ce qui faciliterait la conservation au sein des familles. Ensuite, ces manuscrits sont considérés comme un trésor par les Touaregs. S'y attaquer, même au nom de la charia, reviendrait à s'aliéner une grande partie de la population locale, majoritairement touarègue, ce que les nouveaux maîtres islamistes de Tombouctou ne souhaitent sans doute pas.

Aucun commentaire: