lundi 2 juillet 2012

Nord-Mali: «L’intervention militaire n’est pas souhaitable» (3/3) | Slate Afrique

Nord-Mali: «L’intervention militaire n’est pas souhaitable» (3/3) | Slate Afrique
Spécialiste du monde arabe et musulman, Mathieu Guidère livre son analyse de la situation politique et militaire au nord du Mali. Ce professeur français des universités est notamment l’auteur de Printemps islamiste: démocratie et charia (Ellipses, 2012).

Délégués des armées africaines, lors d'une conférence à Bamako, Mali, janvier 2011 © US Army Africa


l'auteur
Pierre Cherruau et Abdel Pitroipa

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Algérie  Aqmi  Blaise Compaoré  Boko Haram  Burkina Faso  Cédéao  coup d'Etat Mali  djihadisme  Etats-Unis  France  islamistes  Mathieu Guidère  Mauritanie  Nations Unies  Niger  Nigéria  ONU  pétrole  Soudan  Tindouf  touaregs 

Mise à jour du 1er juillet 2012: Des islamistes d'Ansar Dine, un des groupes armés contrôlant le nord du Mali, ont démoli, samedi 30 juin, des mausolées de saints musulmans dans la ville mythique de Tombouctou, classée patrimoine mondial en péril, et Bamako a dénoncé "la furie destructrice" de ces actes assimilables "à des crimes de guerre".
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Slate Afrique - Une intervention militaire au nord du Mali est-elle plausible?

Mathieu Guidère - Politiquement, elle est affichée. La Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) demande d’ailleurs au Conseil de sécurité de l’ONU de voter cette option. Elle est prête à envoyer entre 2.000 et 3.000 hommes.
Pour l’heure, il y a beaucoup d’inconnues. De quelle armée s’agira-t-il? Et avec quels équipements? De plus, on ne connaît pas exactement la mission qu’elle s’assignera au nord du Mali.
Pour éviter la sanctuarisation du nord malien et que les Touaregs, islamistes ou non, ne s’ancrent durablement dans le paysage prenant définitivement le contrôle du nord malien, il est clair que seule la solution militaire existe. 
Mais de mon point de vue, une intervention militaire n’est pas souhaitable. Aujourd’hui, la situation est stabilisée: il n’y a pas de massacres et l’exode s’est arrêté alors que plus de 200.000 réfugiés avaient fui le nord malien, lors des combats au début de l’année.
Il n’y a pas de troubles majeurs dans cette région et donc une intervention militaire, quels que soient ses objectifs, ne peut qu’empirer la situation. La solution serait éventuellement de négocier en agitant l’option militaire, ce qui se fait actuellement.
Slate Afrique - Si une intervention militaire avait lieu, quel pays en prendrait la direction? Qui apporterait le soutien logistique? Peut-on s’attendre à ce que la France parraine cette intervention?
M.G. - Actuellement, c’est le président burkinabè, Blaise Compaoré, (au pouvoir depuis 1987) et ses troupes qui sont pressenties pour mener cette intervention. Apporter un soutien militaire signifie quelque chose de précis, c’est-à-dire équiper les soldats et leur donner des armes et des munitions.
Jusqu’ici, c’est essentiellement la France et les Etats-Unis qui l’ont fait et je ne vois pas qui d’autre pourrait continuer à assumer ce rôle. Cela pourrait se faire sous forme d’un appui sous mandat des Nations unies à la force militaire de la Cédéao et non pas directement à Compaoré. Officiellement du moins.
Slate Afrique - Le facteur explicatif d’une aide américaine ne serait-il pas la crainte d’une jonction entre Ansar Dine et Boko Haram (au Nigeria), tous les islamistes radicaux de l’Afrique de l’Ouest?
M.G. - Effectivement, les Etats-Unis suivent de près la situation, à cause de la présence de Boko Haram au Nigeria, pays stratégique pour les Américains en raison du pétrole.
Pour le reste, le Mali, la Mauritanie et toute cette région ne représentent pas un enjeu d’importance pour les Etats-Unis. Ils estiment que c’est plutôt l’aire d’influence de la France et que c’est à elle de s’atteler à la résolution des problèmes dans cette zone.
Slate Afrique - Ces mouvements ont-ils une idéologie et un agenda communs?
M.G. - Il existe clairement des liens, des échanges, une idéologie commune entre les islamismes et djihadismes de la région: Aqmi (al-Qaida au Maghreb islamique) au nord, les islamistes shebab somaliens à l’est et Boko Haram au sud.
Il y a des échanges d’expertise et de combattants qui sont attestés. Mais pas de quoi parler de risque de jonction ou de volonté de créer une sorte de «pan-Etat» qui s’étendrait du nord malien jusqu’au sud du Nigeria, non. Cela n’a jamais été envisagé.
Entre les deux, il y a quand-même le Niger et le Burkina Faso, des Etats qui ne le permettraient pas. D’autant plus que Boko Haram a plutôt un agenda local. Ils luttent essentiellement pour l’autonomie, voire l’indépendance du Nigeria du nord.
Ce mouvement a plutôt comme modèle le Soudan. Il estime que la situation au Nigeria avec un nord musulman et un sud chrétien est très analogue à celle du Soudan avant sa partition entre un Soudan du nord musulman et un Soudan du sud chrétien. L’objectif et l’agenda de Boko Haram est plutôt de parvenir un jour à cette configuration.
Alors que les autres groupes, à savoir les shebabs somaliens et les Touaregs islamistes recherchent la création d’un Etat islamique avec application de la charia (loi islamique) sur l’ensemble du territoire national.
Donc l’on ne va pas vraiment vers une jonction panislamique ni sur un agenda global. On se situe dans un agenda local, au mieux régional restreint. C’est ce qui permet la réticence américaine.
Seule une menace globale touchant à leurs intérêts un peu partout pourrait les préoccuper. Ni Aqmi, ni Boko Haram, ni les Shebabs ne visent les intérêts américains partout dans le monde.

Slate Afrique - N’ont-ils pas pour objectif d’appliquer la charia sur tout le continent?
M.G. - Pour l’instant, cela ne s’est pas vu. Boko Haram a comme objectif prioritaire un Etat islamique au nord, si possible indépendant, tout au moins le plus autonome possible avec application de la charia dans ses frontières.
Les Shebabs, eux, souhaitent que cette application de la loi islamique s’étende à toute la Somalie. Les Touaregs, selon l’accord qu’ils veulent obtenir, souhaitent un Etat islamique au nord du Mali avec application de la charia sur cette aire.
Slate Afrique - Peut-on envisager une solution durable dans le nord du Mali, sans implication de l’Algérie?
M.G. - Cela s’avère très compliqué, d’abord parce que l’Algérie est un acteur traditionnel et historique du conflit touareg au Mali. Elle a été quasiment de tous les accords depuis les années 90.
C’est elle qui a encadré tous les accords politiques avec le gouvernement malien. Il y a donc une légitimité historique et une expérience politique importante de l’Algérie dans la gestion du dossier touareg dans cette région-là.
Et je ne vois pas comment l’Algérie pourrait être écartée d’un règlement de la question, que ce soit au nord du Mali, et même au-delà, depuis le chamboulement libyen.
Il faut savoir que les Algériens ont leurs propres objectifs dans cette affaire-là. Ils ont une politique assez prudente parce qu’ils ne veulent pas s’aliéner leurs propres touaregs. Pour rappel, toute la région de Tindouf (sud-ouest de l'Algérie) jusqu’au sud, est peuplée de Touaregs. Jusqu’à présent, les Algériens ont opté pour une politique d’intégration, voire d’assimilation des Touaregs dans le paysage politique local.
La présence à ses portes d’un Etat ou d’une entité autonome touareg pourrait donner faire des émules en Algérie. Tout ceci fait que l’Algérie est très prudente sur ce dossier. Prudente, mais incontournable. Elle ne voudrait pas non ouvrir, chez elle, la boîte de Pandore.
Slate Afrique - Ce conflit a-t-il aussi d'importants fondements économiques?
M.G. - L’aspect économique n’est pas négligeable. Ce conflit touareg au nord du Mali avec ses prolongements régionaux et internationaux recoupe des enjeux économiques importants sur le plan de l’extraction du fer, de l’or et divers minerai.
Ces régions ont été sondées et l’on sait qu’elles sont riches en pétrole. Ne manquent plus que le forage et l’exploitation.
Si les Touaregs prennent le contrôle du nord malien et que les autres pays laissent faire, une force économique naissante se profile. Ces intérêts économiques majeurs pourraient bouleverser la donne dans une région à stabiliser.
En arrière-plan de l’objectif de stabilisation de la région, il y a donc un objectif d’exploitation économique corolaire.
Propos recueillis par Pierre Cherruau et Abdel Pitroipa
Retrouvez:
 - La première partie de l'interview: «Ansar Dine est le véritable maître du Nord-Mali»
- La deuxième partie de l'interview: «Des rebelles touareg de plus en plus divisés»

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