jeudi 18 janvier 2018

Les gouvernances de lumière. G5 Sahel et Mali, le chemin ?... II | Pierre Bertet | Pulse | LinkedIn

Les gouvernances de lumière. G5 Sahel et Mali, le chemin ?... II | Pierre Bertet | Pulse | LinkedIn

Les gouvernances de lumière. G5 Sahel et Mali, le chemin ?... II

Se tourner vers le passé pour mieux comprendre le présent, et préparer l'avenir. C'est ce que j'ai essayé de faire dans « l'impasse de l'Adrar » [Lien]. Dans le premier volet de cette analyse-opinion visant à démontrer que la chute en cours au Mali et dans la sous-région n'est pas inéluctable, j'ai voulu mettre en relief quelques éléments clefs déstabilisateurs et précurseurs en Adrar, de la crise grave que nous subissons aujourd'hui.

À savoir et pour le Mali en particulier, un héritage exclusif Touareg figurant parmi les plus difficiles du Sahel, au sein duquel deux pôles de pouvoirs coexistent au jour de l'indépendance avec Kidal actif, et Ménaka latent; et auxquels s'ajoutent celui d'Iyad Ag Ghali lorsqu'il crée un demi-siècle plus tard, son mouvement pour la prédication et le combat dénommé Ansar Eddine. Anṣār ad-Dīn où les défenseurs de la religion, armés en Adrar des Iforhas, salafistes, Djihadistes et étroitement liés à Al-Qaeda Maghreb islamique (AQMI), fondé par les salafistes du GSPC le 25 Janvier 2007. Ansar Eddine qui se politise ensuite le 1er mars 2017 en intégrant le groupe pour la victoire de l'Islam et des musulmans au Mali (soit le NIM - pour Nustrat al Islam wal Muslimin), avec l'Émir Abou-Al-Fadel alias Iyad Ag Ghali en personne, qui reste bien entendu aux commandes.

Et si l'on ajoute à ces "pôles décisionnaires Touaregs" qui disposent chacun d'un bras armé pour soutenir leurs "politiques" respectives, ceux de Bamako et de Paris (1), nous nous retrouvons avec cinq autorités (2) en interactions dans l'impasse que représente la sédentarisation forcée des Iforhas. Et impasse qui au propre comme au figuré, reste cristallisé au cœur de l'Afrique de l'Ouest par Kidal.

L'unique autorité régalienne devant agir au Mali étant la République, c'est à se demander quand même si l'on parle encore du pays issu des indépendances: si oui, et c'est oui !... Un correctif sévère de cet état de fait s'impose à court et moyen terme. C'est donc aussi pour cela que nous préconisons depuis trois ans maintenant pour le Mali et les pays du G5 Sahel, une solution par pays à la fois politique « et » militaire. Soit pour chacun d'entre eux une entité de pouvoir véritablement représentative au service de la Nation, et son bras armé pour la protéger sans exclusive. J'y reviens en 3ème partie où je développe ce programme militaro-politique en détail.

En attendant, suivre avec calme et objectivité les milles et un fils des problématiques cumulées de l'indépendance à nos jours, permet de comprendre que la pelote apparemment inextricable, qui forme aujourd'hui une impasse déstabilisatrice dangereuse pour le Mali et la sous-région, n'est due en fait qu'à une cause unique (détails en 3ème partie). Il est donc aisé une fois que l'on a démêlé et compris cela, de voir où est le chemin à prendre pour en sortir. Et c'est d'autant plus probant que nous venons d'observer sur les cinquante années qui viennent de s'écouler, la quasi-totalité des pires exemples qu'il ne faut désormais plus suivre si l'on veut espérer développer durablement ce pays et ses voisins.

Remettre en œuvre l'une ou l'autre des solutions du passé, quels qu'elles soient, c'est revenir à la situation actuelle mais en pire. Il FAUT tourner cette page et le faire résolument, car seule la suivante peut nous conduire à la lumière. À défaut, et on le constate déjà dans l'une des solutions du passé qui consiste à exercer des prérogatives régaliennes par le biais de milices, ces vieilles méthode ne vont générer non plus une impasse, mais une pelote inextricable que l'on sera obligé de couper - comme au Soudan. On en prend le chemin et plus vite les pouvoirs en présence comprendront cela (je pense aux régaliens), mieux ce sera pour la résilience du pays et sa région.

Et donc après un éclairage du passé effectué depuis le présent, place maintenant à un éclairage du passé à la veille de l'indépendance. La transcription (3) la plus fidèle que j'ai pu faire ci-dessous, est relative à l'essai de synthèse sur la conjoncture et la situation politique dans la subdivision de KIDAL: rédigé le 10 Octobre 1959 à Kidal par le chef colonial de la subdivision Jean ALLARD, soit onze mois avant la proclamation d'indépendance de la république le 22 septembre 1960.

Les liens connexes ci-après, sont pour celles et ceux qui souhaitent approfondir certaines questions. Lien n° 1 > Encyclopédie berbère et lien n° 2 > O-C-R-S

(1) La MINUSMA en effet ne s'est pas auto-mandaté pour piloter la tutelle qu'elle exerce aux bénéfices des Nations au Mali. C'est à la demande de la France «de» Hollande que cette mission Onusienne à vue le jour. Je précise "la France de" car à l'instar des autres nations dans le monde, ce pays est traversé par des courants différents, et il est clair que tous ne sont pas d'un impérialisme retors comme celui de l'ancien président socialiste. Car si son gouvernement n'est absolument pas responsable du fait que le Mali ce soit retrouvé à genoux en 2012, il l'est directement dans ce qui s'est passé ensuite de manière insidieuse, APRES l'opération extérieure et militaire SERVAL. J'y reviens en troisième parti car ce n'est pas peut-être ? C'est sûr. Et comme le gouvernement de la France actuelle ne semble être qu'un "greffon" du précédent, je pense qu'à l'heure où il s'apprête à donner le coup de grâce en Afrique de l'Ouest en poursuivant la politique initiée par son prédécesseur, il est urgent et sain d'aborder le sujet.

(2) En fait, si l'on considère tout tandem (objectif +bras armé pour le soutenir), il faut rajouter le pouvoir de la drogue, donc celui des cartels. Ils sont une composante à part entière de la crise qui prévaut au Sahel, et leur déstabilisation induite est à la fois compartimenté, et extra territoriale. Le traitement de cette menace est abordé dans le volet militaire de notre proposition pour la sous-région, en 3ème partie.

(3) L'original m'est parvenu très abîmé voir effacé par endroits, et certains lieux-dits au lendemain de l'indépendance ont été transcrits différemment. J'ai donc fait au mieux en gardant la syntaxe originale, mais en utilisant grâce à des recoupements (fastidieux), les désignations contemporaines aux cartes actuelles. J'ai également rajouté quelques parenthèses explicatives en italique, pour une meilleure compréhension.

FEDERATION DU MALI, REPUBLIQUE DU MALI, CERCLE DE GAO.

Essai de synthèse sur la conjoncture et la situation

Politique dans la subdivision de KIDAL.

A Kidal, la 10 Octobre 1959, le chef de subdivision JEAN ALLARD.

A. PARTIE POLITIQUE

Préambule: Deux ans d'évolution ont amené le territoire au seuil de l'indépendance. Le pallier essentiel c’est-à-dire l'africanisation des cadres étant pratiquement atteint au 12 octobre 1959. Pour l'ensemble de la République, ces importantes modifications de structure ont été partout favorablement accueillies. L'évolution des idées et des faits venus des masses profondes en contact permanent avec leurs élus s'accomplit régulièrement sans discussion, et elle s'inscrit de façon inéluctable dans le contexte historique du pays. Il s'agit là d'une croissance que les responsable politiques contrôle, dirigent et souvent canalisent.

Dans le monde nomade blanc, et il faut préciser, le monde Tamasheq, il ne s'agit plus de croissance, on ne peut parler que de bouleversements sinon de révolution. Il serait vain de fermer les yeux sur les difficultés qui nous attendent au nord du 18ème parallèle. Répéter que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, c'est méconnaître la réalité du problème et partant, risquer de se trouver un jour dans l'impossibilité de le résoudre. Le présent rapport est établi dans le souci de la plus stricte objectivité. Destiné à l'information gouvernementale, il fera le bilan de la situation et ne cachera aucune difficulté à vaincre.

Étayé par une expérience de plusieurs années et un contact permanent avec le monde Tamasheq de l'Adrar, il vise avant tout à informer, donc à préparer éventuellement l'avenir. Nous n'essayerons point d'extrapoler. La compétence territoriale qui nous est dévolue est suffisante en soi. Vivant une période de transition, il est possible d'en faire le bilan et de situer très exactement les tendances : on ne se propose pas d'autres buts.

Pour résumer ce préambule, il est donc absolument indispensable de préciser :

I) Les bases du contexte politique dans la subdivision

II) La situation politique et la conjoncture

 III) Hypothèses et avenir       

I) LES BASES DU CONTEXTE POLITIQUE DANS LA SUBDIVISION

A) LES BASES GEOGRAPHIQUES

1°) Les limites: s'étendant en latitude du 18ème au 22ème parallèle, et en longitude du 2éme degré Ouest au 4ème degré Est, la subdivision de Kidal entièrement située en zone désertique, offre un échantillonnage à peu près complet des aspects que peut présenter le Sahara. Les limites administratives sont les suivantes:

Au Sud : la limite part de la frontière Nigérienne à l'Est d'Ânou Mellene et suit le 18ème parallèle jusqu'à l'oued Tegôrast. De ce point, elle rejoint I-n-Tebezas puis Amâssine. Elle suit la rive gauche de l'Edjerir Oua-n-Amâssine jusqu'à Anéfis (I-n-Darane), pour remonter vers le nord-ouest et passer par I-n-Rhar, Tebahalet, Ti-n-Etissane et I-n-Echaï.

À l'Ouest : La limite avec le cercle de Tombouctou est jalonnée par les points suivants : I-n-Echaï, Icheurad, Ti-n-Daksen, El Elah, Ti-n-Didine. De là elle rejoint en ligne droite la frontière Algérienne à la corne Ouest de l'Erg Amselsel.

Au nord : il s'agit de la frontière Algérienne qui suit très exactement le tracé suivant : Erg Amselsel, Erg Aît el Khâoua, Balise 660, I-n-Tillit, Ti-n-Adelladj, source de l'oued Akerakar, Adrar Ti-n-Amoul, Adrar In-Esse, Adrar Ti-n- Delloki, Adrar Ti-n-Toussème, Adrar Erebe, Acheb Rich, Ti-n-Essousteme, Ti-n-Rest.

À l'Est : Rive droite de l'oued Akankarer jusqu'au 19ème parallèle. De ce point en ligne droite jusqu'au confluent de l'oued Ti-n-Baraouène et de l'oued Tassa I-n-Aleki. Ensuite verticalement jusqu'au 18ème parallèle.

2°) Caractéristiques essentielles: Le polygone ainsi défini recouvre une surface approximative de 260.000 Km2, entièrement situé au Nord de l'isohyète des 100 mm, donc exclusivement en zone désertique. La plus grande diagonale Nord-sud mesure 550 km d'Amâssine à l'erg Amselsel. L'axe Ouest-est d'I-n-Echaï au 18ème parallèle couvre 700 km. L'énorme massif cristallin primaire qui constitue l'Adrar proprement dit est bordé au Sud par le Tamesna, à l'Est par le Ténéré, au Nord-ouest par le Tanezrouft, au Nord-est par le Hoggar; enfin, toute la zone Ouest qui s'étend du Tilemsi à l'Aklé et l'Assouad, soit près de la moitié de la subdivision, est intégralement désertique. Immensité, relief chaotique, climat Saharien, voilà les bases géographiques essentielles qui conditionnent la vie de la subdivision.

3°) Le climat: Si les principaux massif de l'Adrar reçoivent une moyenne supérieure annuelle supérieure à 100 mm, il n'en est pas de même du reste de la subdivision où par exemple, aux confins du Nord-ouest, la pluviométrie tant vers zéro. Températures excessives, précipitations réduites et irrégulières, quasi permanence des vents de sable en résumé rudesse presque inhumaine, voilà comment peut se définir le climat de la subdivision. Tous ces facteurs négatifs ont encouru à créer un mode de vie dont la précarité confine souvent aux limites de la survie.

4°) L'homme et ce qu'il en résulte: Venu très tôt dans ces régions où la Saharification est continue et inexorable, l'homme a dû s'adapter au pays, au climat et se créer une économie rudimentaire caractérisé surtout par l'austérité, et le manque de besoins. Le Tamasheq n'a pas discipliné le Sahara, il le subit, et ne pouvait être un nomade dont l'irrédentisme est à la mesure de son pays. La pauvreté des pâturages, l'incertitude des pluies permettent tout juste un élevage statique, dont la richesse essentielle est constituée par le troupeau de camelin. Enfermés dans l'Adrar, les Iforhas sont toujours restés en dehors des grands courants d'idées, et sont marqués à jamais d'un incurable provincialisme.

Rançonnés autrefois par les rezzou Reguibat, ils se sont repliés dans leur forteresse naturelle ne contractant aucune alliance formelle, se fiant à leur solitude, et n'aspirant qu'à la paix. Sous alimentés dix mois sur douze, méfiant à l'extrême, le Tamasheq est venu peu à peu à se bâtir une psychologie qu'en constitue le trait le plus déprimant. Pour le définir mentalement, en quelques paragraphes :

- Le Tamasheq ne prend jamais l'initiative du dialogue.

- Le Tamasheq attend toujours vos questions.

- Le Tamasheq répond rarement d'une façon précise, et jamais la première fois à la question posée.

- Il répond volontiers à coté, et le plus long possible.

- Pour le Tamasheq rien n'est tout à fait vrai, rien n'est tout à fait faux. La vérité comme le mensonge s'imbriquent étroitement au gré de son imagination, de son intérêt ou de sa simple fantaisie.

- Le Tamasheq peut si son intérêt est en jeu, devenir un effroyable menteur. Il peut le devenir aussi par jeu, uniquement par plaisir, comme dans certain cas il se fera l'affabulateur le plus romanesque.

- Personne dans l'entourage du Tamasheq qui a la parole ne relèvera les mensonges ou les énormités qu'il profane. Cela ne se fait pas : on cause…

En résumé manque total de franchise, duplicité, hypocrisie apparente ne sont que les manifestations les plus spectaculaires d'un phénomène d'auto-défense que l'on ne peut reprocher à un individu, dont la vie n'est qu'insécurité et précarité.

B) LES PERIODES ET LES DATES CLEFS

1°) Le passé lointain: L'usage veut que le nom Iforhas soit donné à tous les Tamasheq ressortissants de la subdivision de Kidal. En fait le terme Afaghis pluriel Iforhas s'applique essentiellement à la fraction Amenokal de la tribu Kel AFFALA, et par extension, aux fractions qui lui sont apparentées à l'exception des Imrahds. La famille Amenokal qui seule a vraiment droit à l'appellation d'Iforhas, n'est pas spécifiquement Tamasheq. C'est une famille d'Arabe, et d'Arabes Chorfas.

Au début du 17ème Siècle, un chérif du Tafilalet nommé Mohamed El MOKHTAR fit le retour de la Mecque, s'arrêta en Adrar, épousa une Kel TADEMEKKAT, et fit souche. C'est de lui et en ligne directe que descend l'Amenokal actuel, Attaher Ag IllI. Le nom de la famille Amenokal Kel AFFALA [gens du nord] rappelle cette originalité, qui donne ainsi aux Iforhas un caractère très particulier parmi les autres confédérations Tamasheq. Cette filiation des Iforhas qui en fait les petits enfants d'Ali Ben MOTTALIB [Ali Ibn Abî TALIB], époux de Fadimata la fille chérie du Prophète, leur est reconnue par tous et en particulier par les pointilleux marabouts Kounta. Elle leur confère un caractère religieux très prononcé.

La famille de Mohamed El MOCKHTAR [Aitta] vivait donc chez les Kel TADEMEKKAT, au même titre que de nos jours un Kounta de noble souche comme sidi Haiballah Ould ABIDINE vit parmi les Iforhas, et s'est marié chez eux. Lorsque la confédération IOULLIMIDEN déplaça son centre de gravité vers le sud, les débris de tribus de faible importance et de moindre richesse demeurèrent en Adrar. Ils subirent tout naturellement l'influence de cette noble et riche famille : c'est là l'origine de la confédération Iforhas.

2°) Le passé immédiat: Durant deux siècles, hétérogène, plus maraboutique que guerrière, la confédération vivota péniblement au contact des démêlées entre Kounta et Ioullimiden, Kounta et Hoggar, cherchant sa survivance dans une pacifique neutralité. Ce n'est que peu de temps avant l'arrivée des Français que sous l'impulsion des chefs énergiques, et stimulé par les pillages dont il était l'objet, que le groupement augmenta en homogénéité et en force. Notre contrôle devait être leur coup de fortune.

Ralliés dès le début et sans combats à la cause Française, ils se firent apprécier par le Colonel LAPPERINE et le Capitaine CHARLET qui virent l'avantage qu'il y avait à se ménager chez les Iforhas, une source de partisans. En 1916 suivant la voie tracé par Cheick BAYE, ils combattirent à côté des Français et firent bien plus que les Kel AHAGGAR, avec lesquels ils partagèrent les dépouilles des vaincus: car les animaux dévolus aux Hoggar, ne purent s'acclimater à des conditions de vie trop différentes. Cette politique a apporté du même coup aux Iforhas la fortune matérielle, la reconnaissance par nous, leur unité, et l'annulation de toutes revendications IOULLIMIDEN concernant les tribus associées.

Dès lors, la confédération Iforhas bien armée, riche, commandée par un chef d'envergure, ne cessa d'affirmer son rang. Désormais traditionnellement alliés aux Français, ils contribuèrent largement à instaurer la paix définitive dans le pays. Deux beaux contre-rezzou en 1923 et en 1928 où ils furent la raison du succès, contribuèrent à asseoir leur réputation de guerriers. Réputation qu'ils n'avaient pas autrefois par leur origine, tandis que leurs rivaux IOULLIMIDEN subissaient eux la transformation inverse.

3°) Le présent: Le 31 mars 1957, la population du Soudan toute entière est conviée à désigner les représentants qui auront à mettre en train, les instructions nées de la loi cadre. En Adrar, le fait n'a pratiquement pas d'importance, voir aucune importance de répercussion. Le parti de l'Union Soudanaise délègue dans la subdivision un nomade de race blanche El WAFFI, ce qui rassure l'intelligentsia Tamasheq. Quant à la masse des nomades, elle se désintéresse totalement de la consultation électorale, et le pourcentage des abstentions atteint 98%. Le 28 Septembre 1958, après un an et demi d'expérience, nouvelle consultation qui elle aussi tombe à plat.

Le Tamasheq indifférent ignore les urnes, et seuls les notables prennent part au vote. L'autorité administrative intervient personnellement en faveur du parti gouvernemental, et pour la première fois dans l'histoire électorale de la subdivision, il est enregistré une participation substantielle qui atteint 2.740 votants. Le pourcentage des abstentions reste néanmoins considérable : 30%

Période du 10 Mars au 10 Octobre 1959: Les cadres sont progressivement africanisés. Dans le cercle de Gao sur cinq subdivisions, trois sont confiées à des fonctionnaires Soudanais. Enfin le 1er Octobre 1959, le commandant du cercle de Gao est remis à Monsieur Baba DIALLO. Parallèlement à ces mouvements de cadres, de profondes réformes voient le jour dans les circonscriptions :

- Rôle accru des S.E.D.R dans le ravitaillement des populations.

- Ingérence progressive des comités politiques locaux dans la conduite des affaires publiques.

- Interventions fréquentes et toujours efficaces, des parlementaires dans leurs circonscriptions.

- Nombreuses révocations des chefs coutumiers, notamment dans le Gourma.

- Constitution et mise en place des conseils de village.

Cette progression très spectaculaire dans les circonscriptions à majorité sédentaire n'a, il faut bien le dire, aucune répercussion valable dans l'Adrar des Iforhas. Comme toujours, la grande masse Tamasheq reste absorbée par les problèmes saisonniers de la vie pastorale. Seuls les chefs de tribu sont au courant de la révolution en marche, et tous se tournent vers le chef de la confédération Attaher Ag IllI, dont le prestige et l'audience restent intacte.

C) LE PROBLEME DE LA CHEFFERIE

Il est dominé par la personnalité d'Attaher dont l'attitude conditionne le comportement de tous les autres chefs. Attaher est un vieil homme attaché aux formes du passé, dont la préoccupation dominante reste la paix.

Le principal souci de ce rapport étant l'objectivité, il est nécessaire d'appeler les choses par leur nom : Attaher est resté l'homme de la France. Chez lui, il n'y a de vérité que chez le "Commandement". Et pour lui encore, ce commandement doit être Français. La nomination d'un fonctionnaire africain à la tête du cercle de Gao l'a plongé dans le plus grand désarroi. Mais il continu néanmoins à penser en Afaghis, c'est à dire un homme pour qui Gao est à huit jours de chameaux, et Bamako une entité lointaine.

Vivant depuis soixante-quinze ans dans l'Adrar qu'il n'a pratiquement jamais quitté, le monde extérieur n'a pour lui aucune signification précise. La parole du "commandant" reste la loi, dans toute sa rigueur élémentaire. Face à cette personnalité, que présente le reste du commandement dans l'Adrar des Iforhas ! En réponse, il faut bien admettre qu'il souffre d'une carence générale.

1°) LES KEL AFFALA. Attaher ayant pratiquement renoncé à l'exercice du commandement, celui-ci est effectivement assuré par son fils Intalla, nommé coadjuteur en Février 1956 par le Gouverneur Geay [Lucien Eugène]. Intalla ayant remplacé son frère Zeid jugé incapable, a pu depuis trois ans donner la mesure de ses moyens. Il faut bien convenir hélas que cette expérience se solde par un échec autoritaire. Souvent maladroit, Intalla a réussi à dresser contre lui la Jamaa kel Affala, et il n'est point dit qu'Attaher venant à disparaître, la chefferie ne lui soit remise.

2°) LES IDNANES. Cette tribu dont la caractéristique essentielle est la tendance à l'anarchie, ne reconnaît pratiquement pas l'autorité de leur chef, Bissada Ag BAKHAD. Les fractions sont pratiquement indépendantes et cet état de fait pourrait sans dommage, être entériné par la suppression de la chefferie tribale comme cela a été fait ailleurs.

3°) LES TARAT- MELLET. L'extrême impopularité du chef Hibba Ag FENNA permet de tirer la même conclusion que pour les IDNANES.

4°) LES KEL TELABIT. Cette tribu ne comprend que trois groupements assez homogènes. Son chef Hamzatta peut être classé dans l'honnête moyenne.

5°) LES KEL TARLIT. Autrefois rattachés aux Kel AFFALA, ils sont actuellement commandés par le vieux Rhissa Ag YEDOU qui a passé les rênes du "pouvoir" à son fils, Bissada Ag RHISSA. On peut sans inconvénients envisager l'éclatement de cette tribu, en fractions indépendantes.

6°) LES IBOTTENATEN. Ce groupement nomadise aux confins du Tamesna et du Ténéré. Il est correctement commandé par son chef, Hatay Ag ALHOUSSEINI.

7°) LES IFORGOUMESSEN. Oumeyatta Ag SIDI qui les commande est sans conteste le meilleur chef de l'Adrar. Cette tribu nomadise en permanence sur le territoire de Ménaka. Ceci dit, il sera nécessaire de se reporter à la 2ème partie (statistique) qui donne le tableau de commandement et le fractionnement des tribus de la confédération.

II) LA SITUATION POLITIQUE ET LA CONJONCTURE

La situation politique comme la conjoncture sont dominées ici par les problèmes des chefferies. Mais comme tout problème, si gênant soit-il, il comporte tout de même une solution. Il y sera revenu en matière de conclusion au présent rapport. L'inconnue reste la jeunesse. Jeunesse pour qui les anciens ont perdu tout prestige, et qui constitue la réserve de demain. Qu'avons-nous fait jusqu'à présent pour nous l'attacher ! Rien.

Hostile à toute scolarité, elle n'a jamais été acquise à nos idées, et encore moins à nos institutions. De l'Administration, elle n'a jamais perçu que les contraintes et les manifestations tracassières: recensement, collecte de l'impôt, convocation. Pour cette jeunesse, l'essence même du bonheur est représentée par le "retour aux sources", c’est-à-dire à l'anarchie Tamasheq fondamentale.

Ne pouvant s'extérioriser dans les joutes et les combats d'honneur, elle se tourne vers l'insouciance, l'indiscipline, et souvent la délinquance. C'est elle qui fournit l'essentiel du petit banditisme frontalier, jamais endémique de Tessalit à Ti-n-Zaouâtene. Que l'autorité établie à Kidal vienne à disparaître, que s'éteigne définitivement l'influence des vieux chefs, et l'Adrar retrouvera vite sa physionomie de semi dissidence, et d'insécurité;

III) LES HYPOTHESES ET L'AVENIR

Le souci essentiel qui reste le nôtre étant le maintien de l'ordre, dans la légalité républicaine, le commandement doit compter des dominantes qui grèvent (font peser un poids très lourd) dans la subdivision, le jeu normal des institutions. Elles sont de deux sortes : internes, où liées aux influences extérieures.

A) Les hypothèse internes.

Elles découlent de ce qui a été dit plus haut, et une simple énumération suffit à les mettre en relief.

- Immensité et nature chaotique du pays.

- Climat intégralement désertique.

- Pauvreté des voies de communication.

- Économie pastorale statique et rudimentaire.

- Difficulté à maintenir le contact avec la population.

- Mentalité et psychologie de l'individu, aux antipodes de nos concepts traditionnels.

- Hostilité déclaré à toute scolarisation (à l'égard de …).

- Sclérose du commandement, et incertitude de la jeunesse.

Ce tableau semble poussé au noir, mais il est malheureusement exact. Un demi-siècle de présence ne nous a absolument pas fait progresser dans l'esprit de ses habitants. Ses Tamasheq ont continué à voir en nous les conquérants disposant de la force, c’est-à-dire, du seul argument valable à leurs yeux.

B) Les influences extérieures.

Elles sont aussi importantes que les précédentes, et conditionnent l'avenir du pays. Sans être limitatives, et tout en restant dans le cadre de ce rapport, il est facile d'en dresser la liste.

1. Action Gouvernementale

2. Attraction Algérienne

3. Influence du Hoggar

4. Mirage de l'O.C.R.S (Organisation Commune des Régions Sahariennes – voir lien N°2)

5. Le Niger

6. Influences tribales voisines

È. Prestige l'armée

1) Action Gouvernementale. Elle a été appuyée en toute loyauté par l'autorité administrative. Lors de la dernière consultation électorale du 31 Mars, les principaux chefs de tribus notamment Attaher, ont été reçus par les parlementaires de l'Union Soudanaise avec qui ils se sont largement entretenus. Le chef de subdivision a constamment éclairé les chefs sur la nature et la portée, de l'évolution politique. Il l'a dit avec modération, s'attachant à démontrer surtout qu'il était avant tout le représentant du pouvoir central, et non pas chef omnipotent de l'Adrar. Il s'est toujours attaché à calmer les esprits et surtout, à dissiper les équivoques.

En effet, si l'on s'était contenté de déclarer que rien n'était changé dans l'ordre des choses, le résultat obtenu aurait été l'inverse de celui recherché. En résumé, l'intelligentsia de l'Adrar sait parfaitement où en est le pays, et où il va. Mais, il y a un mais, la subdivision de Kidal ce n'est ni le village de Kidal, ni celui d'Aguelhok, ni celui de Tessalit. La subdivision de Kidal ce sont 18.000 Tamasheqs qui nomadisent sur un espace grand comme la moitié de la France. Voilà la réalité du problème. S'en tenir à ce qui se dit, ou se fait, au chef-lieu de la subdivision, c'est risquer les pires illusions.

Kidal est avant tout une subdivision nomade et doit être traitée comme telle, quelque soient la conjoncture et les impératifs politiques. Le chef de subdivision doit rester le seul porte-parole du gouvernement. Lui seul peut, et doit toucher le monde Tamasheq. Il doit se déplacer constamment de campement en campement, et au hasard de la transhumance. À ce prix seulement, le gouvernement sera assuré de la paix, du maintien de l'ordre, et du respect des institutions.

2) Attraction Algérienne. L'Adrar et l'Algérie ont une frontière commune de 500km. C'est une réalité que l'on ne peut abstraire. Une très forte implantation Touâti [originaire du Touât en Algérie] vient effectuer du commerce dans les centres de Kidal, Aguelhok et Tessalit. En fait, le commerce est monopolisé par les Algériens Dioula venu du nord, et originaires pour la plupart de Tit, Akabli, Ain Salah, ou Reggane. Leur comportement n'a donné lieu jusqu'à présent à aucunes remarques particulières, souscrivant vraisemblablement au F.L.N, au moins sur le plan financier, mais ni plus ni moins que les manœuvres de Boulogne-Billancourt. Ils sont toujours attachés au pouvoir réel.

Ce réalisme assez équivoque les a successivement fait voter R.P.F, P.S.P, puis R.D.A. Ils voteront sans doute P.A.I demain, et F.L.N après-demain, si cela est nécessaire, étant prêts à appuyer toute politique qui garantira la sécurité de leurs personnes, et de leurs biens. Résolument mercantiles, pratiquant l'usure sans aucunes vergognes, ils ont acquis de ce fait une grosse influence, dans les tribus dont les chefs sont tous endettés. Leur comportement est conditionné par l'évolution de la situation en Algérie. Si ce territoire accédait un jour à l'indépendance, la République Soudanaise aurait affaire à un nationalisme ombrageux dont les émissaires les plus dangereux, seraient les dioulas installés dans leurs pays.

Pour l'instant, les bruits qui circulent dans l'Adrar au sujet de l'Algérie ne touchent guère la masse Tamasheq. Le seul point sur lequel les esprits restent indécis, reste le caractère interminable du conflit, alors que chacun s'attendait à un règlement rapide en faveur des armes Françaises. Au demeurant, la guerre d'Algérie reste pour l'Afaghis dépouillée de tout contexte politique. Elle reste pour lui un baroud entre français et fellagas. Comme il a été dit plus haut, le danger commencera pour le Soudan le jour où l'Algérie accédera à l'indépendance. La jeune République Soudanaise aura alors à la frontière une nation dont la vocation et le réalisme Algérien, risquent de lui créer de grosses difficultés.

Il ne faut pas perdre de vue le fait que les Touâtis et Iforhas, se sentent au demeurant très près les uns des autres. Ils ont amorcé le dialogue depuis des siècles, et beaucoup de dioulas vivants dans la région ne sont plus que des Arabes Targuisés. Le fleuve au contraire, et partant le monde noir, reste pour le Tamasheq un fait lointain dont il n'a qu'une idée très imprécise. Il est donc sage de réserver l'éventuelle hypothèse Algérienne, et de se montrer vigilant de ce côté.

3) L'influence du Hoggar. Elle est considérable, surtout dans les fractions nobles de la tribu Kel AFFALA dont plusieurs nomadisent à peu près en permanence, à la frontière de Timéïaouïne à Ti-n-Zaouâtene [le long du tracé frontalier Algérie-Mali dans l'Adrar, en cheminant de Timéïaouïne vers le Sud-est]. Il faut d'ailleurs disjoindre le Hoggar du reste de l'Algérie. Si l'attraction Touâtie est indéniable, celle du Hoggar est fondamentale pour ne pas dire sentimentale, ce qui est pire : parenté ethnique, communauté de langue, mode de vie identique, ancêtre commune, tout concourt à faire du grand massif un pôle d'attraction que l'on regarde un peu comme le "vieux massif", où il fera bon retourner un jour si les choses venaient à se gâter.

Il est difficile d'ajouter foi aux propos d'un Tamasheq. Néanmoins, il a déjà été rapporté au chef de subdivision que de nombreux nomades du nord, avaient l'intention de se retirer définitivement du Hoggar "si le commandement devenait exclusivement africain".

La plupart des chefs de tribus et notamment Attaher, ont conservé des attaches à Tamanrasset. Il est bien difficile sinon impossible de contrôler une frontière de 600 km, et il est presque certain que la plupart des grandes chefferies Iforhas, ont été déjà contactés par leurs voisins du Hoggar. Le processus tendrait alors vers une "indépendance" de type berbère, dont le leader en Adrar serait Intalla, fils et coadjuteur du chef Kel AFFALA. Cette grande berberie saharienne n'est certainement pas qu'un rêve, et l'on peut être certain que dans l'esprit de quelques chefs, l'avenir se fera sur les bases d'une communauté musulmane allant des Ajjer (Massif à cheval sur l'Algérie et la Lybie), à l'Adrar des Iforhas.

4°) Le mirage de l'O.C.R.S. Il a été fait beaucoup de bruit autour de cette organisation qui on peut l'affirmer, n'éveille aucun écho en Adrar. Seul de tous les grands nomades, Intalla Ag ATTAHER se fait une idée à peu près viable de cette entreprise. Encore n'y voit-il qu'une éventuelle source de profit. Pour lui, l'O.C.R.S est une société qui pourrait lui remettre des soultes [pourcentage que l'on donne au défavorisé d'un partage, pour qu'il soit plus équitable], comme l'ORANCO verse des royalties à Ibäs SEOUD. Très déçu par les résultats négatifs enregistrés dans l'Adrar, par les équipes de prospection géologiques, il serait prêt à faire flèche de tout bord. N'hésitant pas à formuler des revendications territoriales portant sur la frange Nord de l'Adrar, notamment vers Timéïaouïne et I-n-Djezzâl. Mais il faut le répéter, ceci reste le point de vue d'Intalla, et exclusivement le sien. Le Tamasheq de la subdivision ignore absolument l'O.C.R.S, et ce sigle n'a pour lui aucun contenu.

5) Le Niger. On pourrait dénier au territoire voisin toute influence dans l'Adrar, ce n'est point le cas. Deux tribus : les IFORGOUMESSEN et les IBOTTENATEN nomadisent à peu près en permanence aux confins du Ténéré, et dans le haut Ighazer. Des gens appartenant à ces groupes vont effectuer d'importants achats de grain à Tahoua, Filingué et même Tillabéri [Sud-est, Sud et Sud-ouest actuels de Ménaka]. Certains campements utilisent les pâturages vers Mentes et plus au Nord, vers I-n-Abangharit [à mi-chemin de la route migratoire actuelle Ingal-Assamakka].

Le problème Nigérien est donc communautaire comme toujours, il est mal connu et seulement de façon fragmentaire. Il se trouve par ailleurs qu'une violente rivalité oppose les tribus de l'Adrar aux arabes Almouchakar, spécialisés dans le pillage et qui rançonne fréquemment le petit trafic caravanier de Mellene à I-n-Aridal [vallée fossile de l'Azaouagh, le long du tracé vertical frontalier Mali-Niger]. On peut en toute objectivité rejeter l'hypothèse d'une collision entre nomade de l'Adrar, et Nigérien. Pour l'Afaghis, le Niger est pays où l'on trouve du grain à bon prix, mais dont les habitants sont des voleurs qui enlèvent toute sécurité aux transactions.

6°) Influence tribales voisines. Ce sont les plus importantes, car elles posent le problème dans le triangle Bourem-Kidal-Ménaka. Quelle que soit la conjoncture, on se trouve en présence de trois groupements de structure à peu près identiques : les confédérations Iforhas, Kounta et Ioullimiden. Ces groupements entretiennent des relations, dont il est nécessaire de tirer les grandes lignes :

a) Les contacts Iforhas-Kounta.

Dominés par les rivalités, ils ont parfois frisé la haine. L'Afaghis s'il respecte et craint dans une certaine mesure le marabout Kounta, professe le plus profond mépris pour "l'Arabe" qui le lui rend bien. Toute l'histoire de la subdivision est jalonnée par les rixes qui ont mis aux prises Iforhas et Kounta, ou apparenté :

1948 : Affaire d'Anéfis

1954 : Affaire Asselar

1955 : Affaire Timétrine

Une haine demeure inexpugnable : celle qui oppose les Idnanes de Kidal aux Idaouragh de Bourem, le problème étant dominé par la personnalité des deux grands chefs : Badi Ould HABIDINE pour les Kounta, et Attaher Ag IllI pour les Iforhas.

Certaine informations et non recoupées font état de contact pris entre les deux chefs, face aux mesures gouvernementales d'Africanisation des cadres : ce renseignement est faux. Il a été certainement lancé pour les besoins de la cause et par les émissaires de Badi, si ce n'est par lui-même.

En fait, l'antipathie des deux chefs est irréductible. Retors, volubile, intrigant, Badi se situe aux antipodes de son homologue de Kidal. Économiquement, les Kounta ont besoin des Iforhas. La très importante fraction maraboutique Abel Cheikh Sidi AMAR nomadise en permanence dans l'Adrar, de Oua-n-Amâssine à Anéfis. Les Kel TELRECHT résident dans le moyen Tilemsi, c’est-à-dire à la latitude d'Aguelhok, ainsi d'ailleurs que les administrés de Sidi HAÏBALLAH. Enfin la cure salée d'Asselar est vitale pour les animaux Kounta. Le réflexe de Badi est un réflexe de crainte. Le chef Kounta qui voit déjà son autorité discutée aux confins du Timétrine, voudrait bien assurer ses arrières du côté des Iforhas, en prévision du règlement des comptes qui l'opposera un jour aux Ioullimiden. Il craint de voir le désordre s'installer dans l'Adrar, désordre qui marquerait le déclin de son prestige aux lisières de son influence, c’est-à-dire au contact de l'Algérie et du Maghreb.

Beaucoup trop intelligent et fin diplomate pour recourir à la force, Badi essaie de noyauter la confédération Iforhas. Apparemment sa tâche peut paraître facile. Il dispose en avant-garde des Idnanes de Bourem qui le couvre au Nord. À l'est le prestige encore intacte des marabouts Kounta assurent sa tranquillité vers le cœur de l'Adrar. Les inquiétudes résultant du fait qu'il s'est toujours maintenu en liaison étroite avec le pouvoir central et son représentant à Gao. Il y a un an encore, Badi déclarait textuellement : « tant qu'il y aura un commandant Français à Gao, je ne bougerai pas ».

Le cercle est à présent commandé par un Africain, et Badi n'a toujours pas bougé : aussi sa position est-elle devenue très embarrassante, pour ne pas dire plus. Il a certainement fait des avances aux chefferies, mais il n'y a été répondu. En définitive, la sclérose apparente le hiératise, et le silence du commandant Afari ont fini par l'emporter sur l'agitation et le remue-ménage des Kounta.

Le chef de la subdivision s'engage peut-être, mais il se croit autoriser à confirmer qu'il n'existe aucune collision valable entre Iforhas et Kounta. Si d'aventure Attaher Ag IllI s'engageait dans cette voie, ce qui est exclu, il s'opposerait à être renié par ses contribuables et son attitude serait assimilée à une véritable trahison

b) Iforhas et Ioulimiden.

L'ancienne souveraineté Ioulimiden sur la totalité du monde n'est même plus un souvenir. Par contre, les Iforhas se souviennent encore qu'alliés aux français, ils se sont appropriés après Andéramboukane [Sud de Ménaka] le meilleur des troupeaux Ioulimiden. De toute la confédération des Iforhas, seule deux tribus restent en contact permanent avec la chefferie de Ménaka. Les IFORGOUMESSEN et les IBOTTENATEN nomadisent toute l'année au nord de Ménaka, dans la vallée de l'Ighazer aux confins du Ténéré et de l'Azaouagh.

On peut admettre que ces deux groupements d'ailleurs très bien commandés, poseraient éventuellement un problème de gestion et s'affranchiraient volontiers de toute (suggestion) as sujétion administrative. Le recensement et la collecte des impôts dans ces tribus impliquent pour le chef de subdivision une méharée de 1500 km. Il faut donc postuler l'obligation pour le commandement de souscrire à cette obligation, s'il veut se maintenir. C'est seulement au prix d'un contact soutenu d'un très gros effort tant physique que moral, que l'on peut garantir le "loyalisme" de ces tribus dont les chefs suivent d'ailleurs aveuglement Attaher Ag ILLI.

c) Les Iforhas et les deux autres groupements.

En fait et par suite de leur position géographique inexpugnable, les Iforhas sont appelés à jouer le rôle d'arbitre entre les deux grands groupements Kounta et Ioulimiden. Disons pour être précis qu'ils feront pencher le plateau de la balance en faveur du groupe auquel ils s'allieront.

7°) Le prestige de l'Armée. Il serait vain de le nier : en Adrar, le képi a conservé tout son prestige. Disposant de moyens considérables, le commandement militaire sillonne le monde nomade avec des patrouilles motorisées, alors que très souvent le chef de subdivision doit se contenter de chameau. Enfin, pour ramener le sujet aux dimensions mentales de l'Afaghis, les militaires sont "ceux qui ont le fusil".

Pour l'instant, l'Armée française gage par sa seule présence la politique gouvernementale. Son retrait donnerait certainement le signal du désordre, sinon de l'insoumission, tout au moins dans les zones frontalières. A la faveur de ce qui se passe dans certain territoire voisin, l'on serait tenté de lui prêter des intentions peu orthodoxes. En toute rigueur ont peu abandonné cette hypothèse.

L'armée française quoi qu'elle en ait, ne peut s'offrir le luxe d'aventure gratuites et son action éventuelle dans l'Adrar des Iforhas, ne pourrait être motivée que par des raisons de mauvaises politiques ou ce qui serait pire, purement sentimental.

Il s'agit là d'une forme de romantisme absolument dépassé. Une armée qui se bat depuis des ans et que les gouvernements successifs ont mise dans la pénible obligation d'abandonner des territoires, auquel elle avait donné le meilleur d'elle-même, ne peut ni ne veut faire la guerre pour des moulins à vents. En admettant en dernière hypothèse que le problème algérien conditionne son action et que l'armée ne puisse supporter sur ses arrières l'existence d'un nouveau "sanctuaire" Mandchou [voir guerre de Corée 1950], il serait bien machiavélique de lui prêter certaines intentions touchant l'Adrar des Iforhas.

Aucune tactique de considération valable ne peut jouer en faveur de la subdivision. Au contraire et en admettant que le statut politique de l'Algérie évolue un jour vers l'indépendance, le problème sera posé non pas pour la France, mais pour les jeunes républiques riveraines du Sahara. En admettant et dans la conjecture actuelle, l'intervention de l'armée dans les affaires de l'Adrar serait gratuite et purement sentimentale, donc impensable. En définitive si l'on pense armée, il faut penser discipline et stricte exécution des ordres reçus. Jamais l'armée Française ne se lancera dans une ouverture qui ne serait pas gagée par l'instance gouvernementale. On ne peut a priori écarter cette hypothèse.

IV) CONCLUSION ET SUGGESTIONS

Le mot indépendance est absolument vide de sens pour les tamasheq. A la rigueur, il lui deviendrait perceptible s'il impliquait le retour aux vieilles normes ancestrales : liberté c’est-à-dire désordre, insoumission et anarchie.

Le paiement de l'impôt a gardé ici toute sa signification coutumière. Il s'agit d'un tribut payé au vainqueur, et non pas une contribution à la vie du pays. À une époque où le monde africain est en évolution à un rythme accéléré, la subdivision de Kidal prend l'aspect d'une sorte de "réserve" où subsiste une économie et un mode de vie qui n'ont pas "changé" varié depuis des siècles. Si nous voulons garantir au moins le calme et la paix dans cette région, nous devons nous attacher à maintenir le principe d'autorité, qui reste ici le seul valable. Afin d'éviter que l'Afaghis ne soit tenté par les sollicitations venues de l'extérieur, nous devons nous efforcer de le maintenir dans son cadre actuel. Aussi surprenant que la chose puisse paraître, nous n'avons aucun intérêt à la voir évoluer, il n'en éprouve d'ailleurs pas le besoin.

Face au Sahara du nord et au grand nomadisme arabe, nous devons maintenir ce tampon que constitue l'Adrar des Iforhas. Le loyalisme de ses habitants nous restera acquis tant que nous les commanderons en respectant leurs coutumes. Ceci dit, et il était de notre devoir de le dire, un tel anachronisme ne peut subsister indéfiniment. Le gouvernement de la République soudanaise ne peut admettre des citoyens à part entière, et des citoyens de deuxième zone.

On ne peut exclure l'Adrar du programme général d'africanisation des cadres. La subdivision doit, comme les autres circonscriptions, s'harmoniser avec le reste du pays. La sagesse commande seulement d'agir progressivement avec prudence. Ce qui est valable ailleurs dans l'immédiat, exige ici une certaine transposition : une mesure brutale aurait certainement des conséquences néfastes et engagerait dangereusement l'avenir.

Une bonne méthode consisterait à placer en 1960 un adjoint auprès du chef de subdivision et dans un premier temps, de choisir un stagiaire d'origine nomade diplômé de l'école d'administration. Cet adjoint serait en quelques mois initié aux conditions très particulières du travail dans les circonscriptions et surtout, ce stage permettrait aux gens de l'Adrar de se préparer sans heurt à une forme de commandement qu'ils ignorent encore. Enfin le choix devra évidemment porter sur un fonctionnaire de la toute première élite, très robuste physiquement, et qui ne devra marchander «ni son temps», ni sa peine.

Plus tard, et afin de synchroniser l'action politique et administrative dans ces régions, il sera sans doute indispensable de créer un poste de conseiller aux affaires nomades, poste implanté à Gao et dont l'action permettrait au commandement de faire à tout moment, le bilan et la synthèse du monde arabo-berbère dans les cinq subdivisions du cercle.

Signé : Kidal le 10 Octobre 1959, le chef de subdivision Jean Allard

[… Suit en partie B, une longue section dénommée statistique et composée de huit tableaux synthèses, reprenant par tribu leur Amenokal, le coadjuteur, les fractions, leurs chefs, le nombre de tentes et leur population. Avec à chaque fois, la date du recensement.]

A suivre:... Vers une gouvernance de lumière: G5 Sahel et Mali, le chemin ?... III

Aucun commentaire: